À Poêle

Sarah Chougnet-Strudel

Dans ce nouvel épisode, nous avons la joie de recevoir Sarah Chougnet-Strudel.

Sous ses airs de ne pas y toucher, Sarah Chougnet-Strudel est une sacré cheffe dont il faut retenir le nom ! A Marseille chez Regain, puis maintenant à Paris, Au Trou Gascon, dont elle a pris en main les cuisines en novembre dernier, elle imprime sa patte dévoilant deux versions d’une même cuisine vive, singulière, sincère, réhaussée de pointes de piment et d’acidité. Un vrai vent de fraîcheur (et de maitrise) dans un monde de la restauration parfois un peu ronflant…

Avec Sarah, nous avons parlé de comparaison avec l’armée, de saturation des saveurs et de gérer deux cuisines à des centaines de kilomètres l’une de l’autre.

Bonne écoute !

J.G. : De quoi tu rêvais quand tu étais à Ferrandi ? Tu avais déjà envie d’ouvrir ton restaurant ? Qu’est-ce que tu t’imaginais ?

S.C-S : Oui, j’avais très envie d’ouvrir mon restaurant, c’était vraiment l’objectif, même si je savais que ça allait prendre du temps et qu’il fallait être patient. J’ai ouvert Regain assez jeune, mais je savais qu’il fallait prendre le temps de bien faire les choses. C’est vrai qu’avoir mon propre restaurant, c’était toujours dans un coin de ma tête. Je me souviens, quand le restaurant a ouvert, je me suis dit : "Ok, j’ai coché une case." J’étais dans la lune, je réalisais pas vraiment ce qui m’arrivait.

J.G. : Et donc, effectivement, tu as pas mal roulé ta bosse, notamment à Singapour ?

S.C-S : Oui, Singapour, c’était juste après l’école. J’avais très envie de bouger, de découvrir autre chose. Je suis partie juste après mon expérience au SaQuaNa, où j’attendais mon visa pour partir. Là-bas, j’ai eu une expérience assez particulière pour quelqu’un qui vient tout juste d’être diplômé : j’étais prof de cuisine. J’enseignais à des jeunes Singapouriens les bases de la cuisine française : mayonnaise, béchamel, tout ça. C’était un deal avec une école. En échange, moi, je pouvais assister à leurs cours de cuisine asiatique. J’ai appris énormément ! Il y avait une cheffe thaïlandaise, un chef chinois, un chef indien... Dès que je pouvais, je me glissais dans leurs cours pour voir leurs techniques, essayer de capter un maximum de choses. Je savais que j’avais moins d’un an de visa, donc il fallait que je sois efficace.

J.G. : Et c’est de là-bas que vient ton amour pour le piment ?

S.C-S : Ah oui, complètement ! Je me souviens que quand je suis arrivée à Singapour, c’était compliqué. Mon palais n’était pas du tout habitué. Même mes étudiants, je voyais comment ils assaisonnaient : c’était soit pas assez salé, soit très salé et sucré, voire complètement saturé en goût. Pour eux, une mayonnaise, par exemple, c’était fade parce qu’ils n’avaient pas l’habitude de ces saveurs. Ils utilisaient surtout la sauce soja, les épices, le piment... Et il y avait toujours ce mélange de sel et de sucre, très marqué. Avec le temps, j’ai compris comment ils pensaient les choses, notamment en allant manger sur place. Et pour le piment, c’est vrai que ça se travaille ! On commence doucement, et après, on monte en intensité. Ce n’est pas une légende urbaine, c’est terrible ! D’ailleurs, au Regain, les repas du personnel, c’est toujours plein de pâtes de piment sur la table, comme chez moi, dans mon frigo. Il n’y a rien d’autre dedans, juste des pâtes de piment !

J.G. : Et quand tu as ouvert Regain, tu as décidé de mettre de côté les cuisines gastronomiques ?

S.C-S. : Je sais pas... en fait, ça s’est fait complètement naturellement. Je pense que je me voyais pas avoir pour objectif d'ouvrir un restaurant étoilé. J'étais pas à l’aise dans cet univers, même en travaillant pour d'autres personnes ou d'autres chefs, surtout. Moi, je me voyais pas faire ça. C’était pas le projet, c’était pas mon truc. Et puis après, il y a aussi le contexte. On s’adapte au lieu. Regain, c’est un lieu avec une terrasse merveilleuse, mais c’est aussi tout petit. On a une toute petite cuisine. Et puis, on est dans une rue de Marseille où, à l’époque, il n’y avait pas grand-chose, pas beaucoup de restaurants. Étonnamment, c’est la rue la plus longue de Marseille, mais il y avait peu de restos. On avait aussi envie d’avoir un endroit accessible, donc la question d’un restaurant étoilé, on ne se l’est jamais posée. Ça s’est fait naturellement comme ça, et ça convient très bien, à Lucien comme à moi.

J.G. : Est-ce que c’est quelque chose sur lequel tu as fait une croix définitive, la haute gastronomie ? Tu te verrais y retourner ?

S.C-S. : Honnêtement, je m’attendais pas à me retrouver aujourd’hui dans un restaurant comme le Trou Gascon, un lieu qui existe depuis des années. Ça montre qu’il faut parfois accepter ce qu’on nous propose et voir comment on peut se l’approprier. Pour mon propre restaurant, je sais que l’accessibilité à la clientèle, l’idée d’avoir un restaurant qui peut être fréquenté au quotidien, c’est important pour moi. Je ne sais pas si je pourrais faire autre chose, mais peut-être que dans cinq ans, je trouverais ça super différent. Encore une fois, je pense qu’il faut s’adapter à l’endroit dans lequel on est. Si un jour je trouve un restaurant dans un château ou au bord de la mer, peut-être que ce lieu donnera des idées différentes. Et puis, il y a aussi la question des moyens. C’est important d’en parler. On fait avec ce qu’on a et avec ce qu’on peut.

J.G. : Tu parlais du milieu de la restauration quand tu es arrivée dans les années 2010. Comment, à ton niveau, tu arrives à insuffler des choses et à essayer de faire changer les choses ? Sur quoi tu te bats ?

S.C.-S. : Le problème, c’est qu’il y a plein de fronts à mener quand on est une femme. Pendant longtemps, ça a d’abord été un combat personnel : arriver à se défendre dans un milieu qui était hyper masculin et vraiment macho. Ensuite, il y a eu le combat pour les conditions de travail. On fait un métier qui est hyper physique, et ça, il ne faut pas l’oublier. Si on ajoute à ça le stress et des journées qui peuvent être très longues, ça devient vraiment lourd physiquement. Le premier combat qu’on a mené avec mon associé à Regain, c’était de respecter les heures de travail et la loi, tout simplement. On voulait aussi payer notre personnel correctement. Ce n’est pas toujours facile, surtout dans un modèle économique où on a seulement dix services par semaine. Alors, on a fait des choix : on a fermé les services de midi en début de semaine et gardé le vendredi midi ouvert. Et en contrepartie, surtout pendant l’été, on fait des gros services le soir, avec beaucoup de couverts. Je pense que c’est hyper important que ce genre de démarche ait de l’écho dans toute la restauration. On parlait des restaurants étoilés tout à l’heure, et c’est vrai que l’univers des bistrots a réussi, je trouve, à mieux se mettre à la page. Dans les étoilés, il y a des exceptions qui font très bien leur boulot, mais il y a encore des endroits où c’est vraiment très dur. J’ai des échos, de partout en France, où ça se passe mal. Donc, ça, c’est un combat qu’il faut continuer de mener. On doit faire de la restauration un univers sain, pour les femmes comme pour les hommes. Pour les femmes, en particulier, c’est un combat qui est en passe de changer, je pense. On voit de plus en plus de femmes cheffes, et moi, je suis hyper fière de ça. À Marseille, par exemple, c’est une ville où il y a énormément de femmes cheffes qui tiennent leur restaurant, et je trouve ça génial. Je me dis : « Trop bien ! ».

“On doit faire de la restauration
un univers sain, pour les femmes
comme pour les hommes.”

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Photos © Anaïs Coudon


Où goûter ce qu’elle a dans la poêle ?

Regain
53, rue Saint-Pierre
13005 Marseille

Au Trou Gascon
40, rue Taine
75012 Paris

Où la suivre ?
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@autrougascon